Les PAM en Roumanie : focus sur l'arnica

M. Arnou

En Roumanie, les plantes aromatiques et médicinales (PAM) représentent une tradition bien vivante et un secteur économique en transformation.

Cet article se base sur le rapport « le secteur des plantes sauvages en Roumanie – retour d’expérience » rédigé en 2023 par David Vlot suite à un voyage de 5 semaines en Roumanie lui ayant permis de mener un ensemble d’entretiens auprès des acteurs de la filière et d’assister au symposium de la Société roumaine d’ethnopharmacologie où il a pu représenter l’AFC. Ce rapport donne un aperçu d'une partie de la situation des PPAM et des cueillettes de plantes sauvages en Roumanie.

David Vlot est aujourd’hui cueilleur professionnel de plantes sauvages, après avoir été acheteur de plantes pour une entreprise spécialisée dans les extraits végétaux implantée en France. Cette double expérience l’a amené à s’interroger sur la situation roumaine, pays d’où provient une part des plantes utilisées par les entreprises françaises. Il s’est notamment intéressé à la situation de l’arnica. En effet, le pays présente de belles populations sauvages de cette espèce qui sont de plus en plus mobilisées à l’export avec l’augmentation de la demande allemande et française, et ce en parallèle de la baisse des récoltes en France.    

 

En Roumanie bien que la tradition et la consommation des PAM restent bien vivante, les habitudes de la population évoluent. Les roumains consomment de plus en plus de produits « prêts-à-l’emploi » (sirops, teintures, pastilles…), délaissant en partie les tisanes. La filière autour des PAM et des plantes sauvages a connu différentes formes d’organisation à travers le temps. Ainsi, lors des dernières décennies, elle est passée d’une structuration étatique issue de l’ère communiste à une organisation marquée par le commerce international.

La filière se structure aujourd’hui avec différents acteurs :

  • Un réseau très présent dans les villes et les villages de "naturistas", boutiques spécialisées dans la vente de compléments alimentaires à base de plantes ;
  • De la vente de plantes fraîches issues de cueillette, souvent sauvage, directement sur les marchés ;
  • Des petites unités de transformation, souvent des entreprises familiales en milieu rural, qui par le passé internalisaient l’ensemble de leurs cueillettes ou faisait ponctuellement appel à des cueilleurs, et qui aujourd’hui se tournent vers des grossistes pour une part de leurs approvisionnements ;
  • De grosses entreprises de transformation de niveau national, qui s’approvisionnent auprès de grossistes roumains, à l’étranger ou en achetant directement de la plante fraîche à des cueilleurs. Ces entreprises connaissent une croissance de leurs résultats sur les dernières années ;
  • Un ensemble d’entreprises de collectage qui achètent auprès des cueilleurs puis revendent aux entreprises de transformation roumaines ou à l’export, notamment vers l’ouest de l’Europe, principalement la France, l’Allemagne et l’Angleterre.
Vendeuse de plantes médicinales sur le marché de Sibiu - D. Vlot
Exemple de produits vendus dans un Naturistas - D. Vlot

En amont de ces différents réseaux de distribution, il y a des femmes et des hommes qui cueillent ces plantes sauvages. Ils sont le plus souvent issus de la communauté tzigane, population marginalisée et mal perçue par une part des roumains, ou des paysans cherchant des compléments de revenus. Un point commun entre ces populations, leur précarité et leur pauvreté. En effet, en Roumanie, comme dans de nombreux pays, cette activité de cueillette est faiblement rémunératrice et il est difficile d’en vivre décemment. Les cueilleurs, le plus souvent payés au poids, et pour certains vivant dans des camps aux conditions précaires lors des campagnes de collecte, ne perçoivent qu’une part infime de la marge produite par la chaîne de valeur autour de ces plantes sauvages. À peine 1% leur reviendraient sur le prix de revente à l'export, alors que les entreprises transformatrices ou les collecteurs qui exportent à l’étranger captent la majeure part de cette marge.

Le pays dispose d’une réglementation plus contraignante qu’en France concernant l’accès aux ressources sauvages. Cette réglementation pourrait offrir une intéressante traçabilité des collectes, des données sur les prélèvements (localisation et quantité) et une régulation de ceux-ci. Cependant, elle est régulièrement contournée. En effet, beaucoup de récoltes se font sans les demandes de permis délivrés par l’État et les paiements « à la sortie du champ » par des collecteurs sont apparemment couramment pratiqués.

Faible rémunération et réglementation non appliquée entraînent sur le terrain des mauvaises pratiques de cueillette, de sites sur-cueillis ou de détérioration des milieux naturels. Autant de constats qui viennent nourrir nos propres réflexions autour des questions d’un revenu digne pour les cueilleurs et d’une réglementation adaptée (et appliquée), deux facteurs majeurs influant sur la préservation des ressources en plantes sauvages et leurs milieux.

 

L’exemple de l’Arnica

L'Europe de l'Ouest, en particulier la France et l'Allemagne, manifeste une forte demande pour l'arnica. L'intérêt pour la Roumanie s'explique par ses ressources abondantes en "matière première" sauvage, le faible coût de sa main-d'œuvre, ainsi que par la diminution des cueillettes en France.

Capitules d'arnica - M. Arnou

En Roumanie, la ressource en arnica est soumise à des cueillettes intenses et en augmentation depuis au moins 20 ans, couplées depuis une quinzaine d’année à un changement des pratiques agricoles. La déprise sur certains secteurs de pâturage entraîne la fermeture des milieux et dans d'autres secteurs l’amendement des prairies conduit à la disparition de l’espèce (et d’un cortège d'autres inféodées au même milieu). Il est également probable que comme en France, le changement climatique joue un rôle dans la dynamique des populations d’arnica et la baisse du taux de floraison, du fait de l'augmentation des températures hivernales et de la baisse des précipitations. Et bien que l’espèce soit inscrite à la liste critique des plantes vasculaires de Roumanie, l’Etat semble peu s'intéresser à la préservation de cette ressource et du milieu prairial associé. Les mêmes facteurs ont été à l’œuvre en France, entraînant sur les dernières décennies une chute importante de la ressource et de l’activité de cueillette associée. Et bien que l’État français se saisisse aujourd'hui davantage de la question, il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une situation propice à la préservation de cette ressource. En effet, la ressource en arnica a largement chuté, voire a disparu de certains sites comme sur le plateau du Markstein, hier le premier secteur de cueillette de cette plante en France.

La situation de l’arnica en France et la demande des entreprises françaises ont des répercussions sur la pression de cueillette dans ce pays. Et bien que cette demande ait entraîné une augmentation de la rémunération des cueilleurs roumains sur cette plante, ce qui est positif, elle constitue aujourd’hui un facteur de pression sur les milieux naturels et les populations d’arnica de ce pays. Défendre la durabilité des ressources et la dignité du métier, c’est aussi considérer comment ce qui se passe chez nous influe sur ce qui se produit ailleurs, afin d’informer et de sensibiliser à nos impacts au-delà de nos frontières.

 

Pour avoir plus de détails sur la situation en Roumanie, sur la réglementation locale, les filières ou autour de l’arnica, n’hésitez pas à consulter le rapport (disponible dans la médiathèque)

À lire également : Des nouvelles de la ressource en arnica en 2024

À suivre : le webinaire sur la cueillette et la ressource en arnica

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